Fid Q, Songa, P the MC ou encore la jeune Tina Flow démontrent que le bongo hip-hop a de beaux jours devant lui. Pour s’en convaincre, rencontre avec le rappeur Nash MC, une des figures du genre, dans son fief de Madenge.
En arabe Dar es Salaam signifie la maison de la paix. Mais plus que la paix c’est l’animation qui caractérise cette ville côtière qui a été la capitale de la Tanzanie avant que le pouvoir politique ne soit transféré à Dodoma en 1974. Descendre du ferry à Kivukoni, la zone des docks, et se retrouver à Temeke, dans les faubourgs de la ville, est un contraste pour le moins saisissant. Avec ses quartiers remplis de petites baraques de bric et de broc, ses routes mal entretenues gorgées de boue et d’eau par la saison des pluies, le district de Temeke ne paie pas de mine. Ce qui en fait la valeur, c’est sa jeunesse. Ce n’est pas un hasard si c’est en partie ici que le hip-hop du pays a écrit ses lettres de noblesse. Pour en savoir plus, rendez-vous est pris de bon matin avec Jason Mushumbusi Mutalemwa alias Nash MC dans son bureau de Madenge, un quartier de Temeke. C’est là que ce jeune trentenaire à la barbe taillée – qui nous reçoit au milieu des t-shirts à l’effigie de ses albums – a grandi.
Lire aussi : Juma Nature, l’âme du Bongo Flava
À l’instar de l’écrivain kenyan Ngugi Wa Thiong’o, qui avait écrit son célèbre essai « Décoloniser l’esprit » en kiswahili, Nash MC milite fièrement pour sa langue. D’ailleurs, à l’appui de ses convictions, il insiste pour faire l’interview en swahili. Finalement, il se rend compte que je rapporterai plus facilement ses propos s’il opte pour la langue de Shakespeare. Nash fait partie des meilleures plumes du bongo hip hop. Bongo vient du terme ubongo qui en swahili veut dire le cerveau, l’intelligence. En argot local, c’est aussi le surnom donné à la ville de Dar es Salaam. D’où le nom de Bongo Flava, né en 1985 dans la ville, avant d’étendre son influence aux pays voisins – le Kenya et l’Ouganda – et même… jusqu’aux États-Unis. L’autoproclamée meilleure web radio du genre, Bongo Radio, est basée… à Chicago dans l’Illinois ! Mais ne dites surtout pas à Nash MC qu’il fait du Bongo Flava! Si vous êtes perdus dans ce débat pour musicologues c’est normal : «Quand on parle de bongo hip-hop on parle de hip hop.» précise Nash MC. « Le Bongo Flava c’est une musique urbaine qui est très ancrée dans le terroir local, dans les musiques traditionnelles ethniques comme le msela, mélangées avec l’afropop le rap et le rnb. Le hip-hop est une culture beaucoup plus universelle qui était là avant l’apparition du Bongo Flava. La confusion vient du fait qu’en Tanzanie quand tu rappes sur un style de musique, quel qu’il soit, on appelle cela du Bongo Flava. » Ça y est, vous pigez la nuance entre bongo hip hop et Bongo Flava ?
« Tueur de Gorilles »
En 1999, alors adolescent, Nash MC commence à écrire ses textes: « J’ai été influencé par le groupe de rap Kwanza Unit, formé en 1993, qui est l’un des meilleurs du pays. Mais aussi Hard blasters, X Plastaz, GW ou TMK Wanaume, dont faisait partie Juma Nature. J’ai écouté tous ses morceaux. » En 2000, Nash prend son courage à deux mains et enregistre « My darling » qui comme son nom l’indique est une chanson d’amour chez Sound Crafters Records, le premier studio professionnel à Temeke: « Avec mes amis de collège Benjamin Mkapa. (1) On a formé un crew Gorilla Killaz ! » De son propre aveu, le premier essai n’était pas très bon, ni sur le fond ni sur la forme: « Le producteur Hendrico m’a dit: « tu as besoin de pratiquer davantage ! » Qu’à cela ne tienne, Nash peaufine son trait et son travail finit par payer un an plus tard: « J’ai enregistré le single « Kisa cha mwanafuzi » au studio FM Records avec une légende du Bongo Flava, Dully Sykes. Ça a été diffusé à la radio. » Ce titre lui sert d’introduction sur la scène Bongo Flava de Tanzanie. « À l’époque j’utilisais le pseudonyme de Nash Y que j’ai transformé en Nash MC. Le producteur du morceau ‘Miika Mwamba’ est un finnois qui a apporté une grande contribution au Bongo Flava. » (2)
Sur les traces de Shaaban Robert
En 2012 Nash MC sort son premier album Mzimu wa Shaaban Robert, littéralement le fantôme de Shaaban Robert. C’est un clin d’oeil à ce célèbre poète et essayiste né en 1909, en plein Tanganyka colonial, et décédé en juin 1962, quelques mois avant l’indépendance de la Tanzanie: « J’ai beaucoup été inspiré par ses écrits, ses concepts politiques et économiques. Ça a irrigué l’esprit de cet album. D’où ce titre. Nash MC c’est une sorte de fantôme hip-hop de cet écrivain swahili. Il y a une école Shaaban Robert en ville mais beaucoup de jeunes ne savaient pas qui c’était. Grâce à cet album, ils ont commencé à se renseigner sur son oeuvre. Ce disque a bien marché en Tanzanie mais aussi dans les pays voisins, l’Ouganda, le Kenya.»
Solidement ancré dans ses réalités, loin des rappeurs mythomanes qui s’inventent une image de gangsta, Nash décrit ce qu’il vit : « Dans le quartier où nous nous trouvons il n’y a pas de routes ou alors en très mauvais état. J’essaie d’être un haut-parleur, une voix de ma rue. Les gens savent ce qui ne va pas mais ne savent pas toujours le formuler ou comment atteindre les leaders. » Sa voix porte si haut qu’en 2015 une de ses chansons, « Kaka suma« , est censurée par le gouvernement tanzanien : « J’étais à Nairobi et ça faisait un an que le titre était joué à la radio. Je n’ai pas compris la stratégie de censurer un titre qui est déjà partout ! Ça parle de la crise, du chômage de longue durée, des pauvres qui se révoltent. Notre économie n’est pas stable. » pointe t-il. Ce constat fait grincer des dents le pouvoir en place qui le traite de « mchochezi », un terme qui en swahili peut être compris comme : agitateur, fauteur de troubles ou va t-en guerre.
Ne manquant pas d’humour, Nash le reprend ironiquement à son compte pour nommer son deuxième album : « Beaucoup de gouvernants quand vous les critiquez vous donnent ce genre de qualificatifs. Ils ne veulent pas entendre vos idées. Parfois ça peut même mener en prison ! »
Kinasa la promotion du kiswahili
La même année Nash MC, que décidément rien n’arrête, crée son association Kinasa (kiswahili na sana). Son but est de promouvoir le swahili et de donner un tremplin à la jeunesse de son quartier. Depuis 2016, chaque fin de mois, un concert gratuit est organisé tous les dimanches. L’association dispose d’une petite scène et d’enceintes : « Ça permet aux jeunes Mc’s en devenir d’exprimer leurs problèmes quotidiens. Il y a aussi parfois de la poésie, du graffiti. On ne cherche pas à faire venir des artistes mainstream. Il y a eu une trentaine d’événements avec en moyenne entre 800 et 1000 personnes. »
De son côté, en solo, Nash a fait deux concerts en Afrique du Sud l’an dernier. En octobre 2017 il a également intégré le projet collectif « Your music your voice » piloté par l’Institut allemand Goethe à Kampala en Ouganda. Des artistes de sept pays africains y étaient conviés, dont Eric 1key du Rwanda, Monza de la Mauritanie, ou encore Xuman du Sénégal… « ça m’a donné de la visibilité. Maintenant je planche sur un album avec de la guitare et de la percussion. » Une chose est sûre ça va bouncer à Temeke ! »
Pour soutenir l’association Kinasa, c’est par ici. Pour voir le documentaire sur les pionniers du hip-hop tanzanien, c’est par ici.
(1) Du nom d’un ancien président tanzanien de 1995 à 2005.
(2) Mwamba, la roche en swahili, est un surnom que les gens du milieu ont attribué à Miika Aleksanteri Kari pour l’état civil. Au début des années 2000 cet ingénieur du son a enregistré une pléiade d’artistes locaux tels que Inspector Haroun, Lady Jay Dee, Mad Ice, Chegge, Zahran… avant de retourner vivre en Finlande.